Le Socle a accueilli la performance chorégraphique exécutée le 16 septembre 2023 par Yumi, la troisième d’une trilogie, après celles de 2020 et 2021. Le titre, les vêtements de scène toujours rouges affirment la continuité de l’inspiration de l’artiste.
« Au point de départ, il y a la couleur rouge et un corps de femme. Le rouge évoque la passion, le sang, les règles menstruelles, le sang des femmes, à la fois impur et sacré, signe de leur fécondité. La femme possédée, sauvage, la sorcière, la chamane, la femme-enfant, la femme sacrée. Rouge comme une renaissance, rouge comme une bataille avec les fantômes. C’est un jeu d’enfant…
C’est le mystère de la vie qui me donne envie de créer cette série. Je porte un spectre rouge, c’est mon avatar, c’est mon ami.e, c’est mon jeu, c’est mon amour… c’est mon ennemi, c’est ma mère, mon père… ? Mon enfant ? Les métamorphoses de la vie et la mort… » nous confie-t-elle.
Il y a toujours un lien entre la performance de Yumi et l’œuvre installée sur le Socle devant laquelle elle s’exprime. En septembre 2023, « La boîte de Pandore » de Daniela Capaccioli et Nicolas Amar, interprète le mythe grec en faisant sortir du piédestal des êtres fantasmatiques en grillage. Les deux plasticiens se refusent à réduire la fable à une faute originelle attribuée à une femme et font porter leur réflexion sur le tragique du choix humain entre la connaissance et l’ignorance ; c’est ainsi qu’ils ont choisi la curiosité comme personnage principal de la scène présentée. Nouveauté pour le Socle, ils ont conçu un système mobile, le spectateur pouvant faire tourner les monstres avec une manivelle.
Le début du spectacle de Yumi commença dans le silence par la présence d’un être étrange rouge sur un tapis rouge qui s’animait progressivement. Celui-ci s’est défait de sa gangue et a pris vie en rampant et en se relevant, l’humain se détachant de l’animal et laissant voir son visage blanc. Mais la femme ne voulait/pouvait pas se délier totalement de son avatar, et le transforma en vêtement, joua avec, lui fit supporter tout ce qu’elle a vécu.
Comme dans les performances antérieures, « Aka-Oni » entre en résonance avec l’œuvre, car, d’une part, l’avatar d’ « Aka-Oni » prend tous les aspects de l’animal, jusqu’au monstre, et, d’autre part, parce ce que Yumi renouvelle son interaction avec le public. En 2023, elle choisit successivement deux personnes parmi les spectateurs, les fit s’habiller des oripeaux de son avatar, les fit tourner ou se coucher, leur fit faire de la musique : au silence succéda la musique enregistrée, les hommes devenant des animaux de foire ou de cirque, pour le plus grand plaisir du public. Ils apprirent à être les avatars de l’artiste.
Spectacle de farce, mais aussi de carnaval, où les places sociales s’inversent où donc le politique émerge. Une femme et deux hommes, la première manipule les seconds, même si c’est pour leur plaisir bien sûr. On est dans l’époque post #Metoo : les hommes ont consenti à venir au pied du Socle à la demande d’une femme ; c’est Yumi qui exerçait une emprise sur eux, le rire de la foule gommant le tragique.
Le rire devint vertu. L’artiste est centrale dans cette performance sociale.
Jean Deuzèmes
Crédit photo : Philippe Baldin